Hollywoodland

« Hollywood » ! Ces 9 lettres juchées sur les collines surplombant Los Angeles ont le pouvoir de faire rêver le monde entier. Et si, malgré son mythe, son aura et sa légende, ce mot n’était qu’un leurre destiné à cacher les désillusions les plus cruelles de celles et ceux qui s’aventurent dans la cité des anges, en croyant apporter avec eux un chariot d’étoiles ? L’âge d’or du cinéma américain d’après-guerre est personnifié par les actrices et acteurs ayant imposé leur gloire sur les bobines de films comme ils ont laissé leurs empreintes de dieux mortels sur le sol du Hall of Fame. Mais derrière le lustre de Montgomery Clift, Gary Cooper, Fred Astaire, Doris Day ou Ginger Rodgers, que sait-on des destins des multiples anonymes qui les ont côtoyés ? Connait-on Loreen, Doug, Olivia, Liberty, Woody, La Hayworth, Oscar, Yoko ou Orson ? Ces 9 inconnus tour à tour plein d’espoir, heureux, excités puis blasés, tristes et mélancoliques ont pourtant, eux aussi, vécu, même si c’est dans l’ombre des géants. Zidrou et Maltaite nous racontent leur histoire dans ce 1^er tome de Hollywoodland.

Couverture de Hollywoodland — © Hollywoodland – Eric Maltaite et Zidrou – Fluide Glacial

En 1949, les USA sont sortis de la seconde guerre mondiale encore plus puissants qu’ils ne l’étaient avant. Et pourtant, malgré un cinéma presqu’aussi dominateur que le pays, Los Angeles, capitale du 7^ème art décide de laisser la gestion des 13 fameuses lettres « Hollywoodland » à la chambre de commerce de la ville pour cause de coût trop important. Le résultat est sans appel : on retire les 4 dernières lettres et on enlève les lumières qui éclairaient le mot magique. Mégotter sur le symbole du rêve ne démotive en rien celles et ceux qui, plein d’une ambition tantôt modeste ou surfaite, parfois artificiellement enjouée ou désespérée, vont espérer pouvoir suivre les traces de leurs héros. Huit petites histoires nous entrainent sur les traces d’une jolie femme qui désespère, de chasseuses d’autographes intrépides, d’un juif allemand reconverti dans le hot dog, d’une couturière chinoise payant son courage ou bien encore d’un scénariste à toute épreuve. Dans l’ombre des idoles qu’on effleure, les vies se font et se défont d’une façon douce-amère.

Page de Hollywoodland — © Hollywoodland – Eric Maltaite et Zidrou – Fluide Glacial

A travers ces 8 récits indépendants, mais pouvant se recouper entre eux, les auteurs nous proposent de découvrir l’envers du décor de l’industrie du cinéma des grandes années. Ce sujet, pourtant peu original et pouvant sentir le déjà vu, est traité de façon suffisamment originale et décalée pour que le lecteur puisse ressentir les émotions des protagonistes de chacune des petites histoires. On est chamboulé de bout en bout en passant de la tristesse pour une pauvre couturière épuisée ; du sourire avec un aveugle peu perspicace ; du suspens en suivant les fans absolus d’une star plus complexe qu’on ne croit ; ou encore de l’effroi avec une starlette qui ne trouve pas d’échappatoire à une vie qu’elle n’a pas su magnifier. Chaque histoire fait écho à une autre et les anonymes se croisent, trainant leur errance, leur solitude ou leur fatalisme. Les vies se frôlent sans s’additionner, chacun voulant quoi qu’il arrive croire à son destin. L’album se referme sur un dernier chapitre renvoyant directement au premier, logique conclusion montrant que les chimères de la cité des anges ne se terminent jamais et que l’histoire des foules pleines d’illusions bientôt perdues est un éternel recommencement.

Le dessin de Maltaite est, comme toujours, lumineux. Parfaitement adapté aux différents récits qu’il met en scène sans aucun accroc, le style semi-réaliste du fils de Will est idéal pour illustrer les itinéraires difficiles de petites mains espérant, eux aussi, que la gloire s’empare d’eux. Ce dessin est superbement complété par le travail sans faute de Philippe Ory, dont le nom est étonnamment absent de l’ouvrage. Ses couleurs franches, lumineuses, rassurantes et attractives contribuent à apporter de la fraicheur et de la vitalité à l’album.

Loin des classiques du genre, comme « L.A. Confidential » ou « Chinatown », « Hollywoodland » offre une comédie dramatique tour à tour désenchantée, tendre, ironique ou triste tout en célébrant la magie du cinéma de l’âge d’or. Scénario, dessin et couleurs s’imbriquent parfaitement pour produire un album attachant, accessible et fort.