Interview de Benoît Feroumont, auteur de la série Le Royaume
Auteur de la chouette série Le royaume, Benoît Feroumont s’est livré, avec une grande sincérité, aux questions des Amis des Spirou.
Les amis de Spirou : Benoît, pouvez-vous nous présenter la série Le royaume ?
Benoît Feroumont : C’est une histoire qui se déroule dans un pays où vivent un roi, une reine et surtout une tavernière qui se prénomme Anne, et dont on suit les péripéties. Elle vit des aventures plutôt normales. Je décris souvent la série comme une grande soupe avec beaucoup d’ingrédients. Mais, pour le sel et le poivre, j’ai inventé des oiseaux qui parlent et qui sèment la pagaille. La vie au royaume n’est ainsi plus un long fleuve tranquille.
Les amis de Spirou : Comment avez-vous créé la série ?
Benoît Feroumont : C’est beaucoup d’improvisation. Il y a quelques années, j’ai travaillé sur un court métrage animé qui s’appelait “ Dji vou veu volti” (Wallon liégeois qui signifie Je vous vois volontiers – une manière de dire Je vous aime). Frédéric Niffle était le rédacteur du journal de Spirou et souhaitait me recruter. Il m’a proposé d’adapter ce court métrage en bande dessinée.

Les amis de Spirou : Vous êtes-vous laissé tenter ?
Benoît Feroumont : Pas vraiment, je n’avais pas envie de refaire la même chose. Ainsi, j’ai réinventé tous les personnages. Le seul élément que j’ai conservé, c’est le design de l’uniforme des soldats du royaume.
Les amis de Spirou : Comment construit-on un tel univers ?
Benoît Feroumont : Initialement, je souhaitais raconter une histoire de famille, avec un roi et une reine. Finalement, j’ai développé tout un univers au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail. Mon objectif était de dessiner des histoires courtes, puis… Anne s’est imposée toute seule en tant qu’héroïne de la série.
Les amis de Spirou : La série s’est également rapidement imposée dans le journal ?
Benoît Feroumont : C’est allé assez vite car Frédéric Niffle me sollicitait très régulièrement. Il aimait mon dessin. C’est venu au fur et à mesure avec différentes demandes : une histoire pour la Saint-Valentin, une autre pour un spécial Noël. C’est ainsi que se sont construites les aventures de la série.
Les amis de Spirou : Quelles inspirations vous animent pour faire vivre tous ces personnages ?
Benoît Feroumont : Nos parents nous avaient abonnés à Tintin. Mais, mes grands-parents, eux, achetaient le recueil de Spirou. Nous avions à disposition les deux univers. Spirou était plutôt associé aux vacances d’été. Le royaume est très fortement inspiré de cette ambiance estivale, j’y reproduis ces aspects bucoliques. Je me replace dans mes vacances d’enfance.
Les amis de Spirou : La chronologie de la série est particulière, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Benoît Feroumont : Avec Le royaume, j’ai dessiné beaucoup d’histoires courtes pour le journal. J’ai avancé avec une chronologie qui présentait d’abord le roi et la reine, puis ensuite on découvre le village en accompagnant Anne qui s’y perd. J’avais une chronologie dans la tête.

Les amis de Spirou : Une chronologie différente de celle qui est ensuite publiée en album…
Benoît Feroumont : Les albums n’ont effectivement pas suivi la chronologie de la prépublication. Nous avions énormément de matière, mais nous avons travaillé en vue de concevoir des albums cohérents, indépendants de la chronologie initiale. Mais, c’est vrai qu’un jour j’aimerais publier un recueil qui respecte davantage l’ordre initial des événements.
Les amis de Spirou : D’autant plus que cela se complique avec Le royaume de Blanche-fleur ?
Benoît Feroumont : Beaucoup de lecteurs et lectrices ont pensé que cette histoire était un spin-off de la série. Hors, c’était vraiment un truc d’édition, avec une belle couverture et une longue histoire. C’est l’équivalent des deux albums habituels.
Les amis de Spirou : L’album a suscité une petite confusion dans la série…
Benoît Feroumont : Les gens ne l’ont pas compris et les ventes s’en sont ressenties. C’est pourquoi, La meilleure pâtissière retrouve un format plus classique, avec des histoires courtes. Mon éditeur Benoît Fripiat avait remarqué que nous disposions d’encore environ 80 pages d’histoires non publiées, de la matière pour concevoir deux albums en dessinant quelques histoires complémentaires.
Les amis de Spirou : Avant de retravailler sur le 7e album de la série Le Royaume, vous êtes repassé par l’animation, pouvez-vous nous raconter cette expérience ?
Benoît Feroumont : Je suis parti à Madrid comme directeur d’animation pour travailler sur un film. Il est vrai que je me posais beaucoup de questions sur la surproduction dans le secteur de la bande dessinée. La situation pour les auteurs est assez compliquée. Aujourd’hui beaucoup d’entre-eux ne pratiquent plus la BD qu’en “hobbie”. L’animation assure un revenu plus stable et confortable.
Les amis de Spirou : Quelles sont les différences entre l’animation et la bande dessinée ?
Benoît Feroumont : J’adore la BD car on avance en fonction de ses envies. Dans l’animation, la dynamique est différente, on travaille en équipe. Ce sont des moments humainement enrichissants avec des disputes, mais également beaucoup de périodes d’enthousiasme. On assiste aussi à des avant-premières, mais le gros défaut, c’est que c’est très long, il y a souvent des problèmes de budget et on doit beaucoup négocier pour avancer autour d’une scène…
Les amis de Spirou : Alors qu’en BD, vous avez davantage de liberté ?
Benoît Feroumont : La BD est un véritable espace d’émancipation et de quiétude formidable. Tout d’un coup, je fais ce que je veux sans préoccupation de budget pour réaliser telle ou telle scène. La pression des délais retombe un peu. On n’a pas en ligne de mire un festival où le film doit être absolument fini. J’ai coutume de dire que j’ai une jambe dans la BD, l’autre dans l’animation…
Les amis de Spirou : … Ce qui assure un certain équilibre. Après l’animation, vous êtes donc revenu avec ce nouvel opus de la série Le royaume… Était-ce compliqué de se replonger dans cet univers ?
Benoît Feroumont : Déjà, j’ai adoré rouvrir ce grand grimoire et y retrouver mes personnages. Puis, ce n’était pas très compliqué de rassembler les histoires. J’ai commencé à “chipoter” mon chemin de fer, puis j’ai éliminé quelques histoires centrées sur le roi en me les réservant pour le prochain album. J’ai sélectionné un récit pour l’introduction et l’album s’est ainsi fait. Il y avait beaucoup de matériel. J’ai dessiné de nouveaux récits pour le compléter.
Les amis de Spirou : On a l’impression que la série fonctionne comme un petit théâtre, comment travaillez-vous vos histoires ?
Benoît Feroumont : Oui, c’est exactement ça. Là, je viens de déménager, mais habituellement, les personnages sont affichés sur mon mur. On y retrouve leurs principales caractéristiques, leurs comportements et philosophie de vie. J’ai une petite structure à l’intérieur de laquelle je m’autorise des improvisations et de bêtes blagues qui me font rire.

Les amis de Spirou : Dans La meilleure pâtissière, certains scénarios sont signés de Maïa Mazaurette et de Clara Cuadrado. Comment se sont déroulées ces collaborations ?
Benoît Feroumont : On parle d’un album dont les histoires ont été écrites en 2014. Après Le Royaume de Blanche-Fleur, je devais revenir à des histoires courtes.Je suis admiratif des auteurs qui réalisent des gags en une seule page. Moi, j’ai besoin d’une narration pour exploiter le potentiel d’une histoire. J’ai donc demandé de l’aide à Maïa et à Clara.
Les amis de Spirou : Ont-elles bien respecté l’univers de la série ?
Benoît Feroumont : Oui. Mais comme je suis le maître de cet univers, je pouvais valider ou non le comportement de Anne ou les situations dans lesquelles se mettait François.
Les amis de Spirou : Et qu’ont-elles apporté ?
Benoît Feroumont : Eh bien, un regard féminin. C’est très important. Il y a des scénarios, par exemple une histoire sur le maquillage à laquelle il était impossible que moi, avec mon regard d’homme, puisse y penser. Elles ont également apporté une forme d’originalité et des innovations.
Les amis de Spirou : En tant qu’amateurs de Spirou, comment vos parents ont-ils accueilli votre one-shot sur notre groom favori ?
Benoît Feroumont : Aujourd’hui, j’ai toujours mon père. Lorsque j’ai publié Fantasio se marie, il était très ému. Spirou est un héros de sa jeunesse. Sans être un taiseux, mon père ne fait pas non plus dans l’effusion. Mais, j’ai vécu un moment exceptionnel lorsque je lui ai présenté l’album. Ensuite, il m’a envoyé un chouette petit mot après. C’est précieux.
Les amis de Spirou : Et quels sont vos prochains projets ?
Benoît Feroumont : La prochaine étape c’est de terminer un album qui s’appelle Mou et qui sera édité chez Dupuis. C’est une bande dessinée érotique. On m’avait demandé une suite à Gisèle et Béatrice. Finalement, je suis parti sur autre chose, avec une nouvelle idée dans laquelle il y a un côté social. L’album sortira l’année prochaine.
Propos recueillis par Bruce RENNES